Aujourd’hui, je suis tombé sur un article plutôt mauvais sur letemps.ch qui est plus putaclic qu’informé : Miner des bitcoins, de l’énergie utile ou futile? (un article payant qui ne mérite pas que l’on débourse le moindre centime pour lui). Cet article est mauvais, car l’auteure Mathilde Farine ne comprend pas ce qu’est réellement le mining. C’est assez fréquent, car le sujet n’est pas évident et les journalistes décrivent souvent un homme de paille, car ils n’ont pas les connaissances techniques pour évaluer la pertinence de leurs sources. Je vais ici montrer toutes les informations erronées de l’article en essayant de vulgariser le sujet dans une série d’articles qui propose une manière concrète et simple comment réduire son empreinte carbone et de faire de Bitcoin un fantastique outil de la transition énergétique.
La preuve de travail de Bitcoin consomme de l’énergie.
Le bitcoin, qui nécessite une infrastructure informatique de plus en plus substantielle, n’est-il pas un gouffre à énergie?
Mathilde Farine, https://www.letemps.ch/economie/miner-bitcoins-lenergie-utile-futile
Cette première phrase (en plus d’être d’une neutralité douteuse, mais ça va, on en a l’habitude) résume la plupart des mauvaises représentations et les fantasmes concernant le mining. Bien entendu, Bitcoin a besoin d’énergie et de matériel pour fonctionner, il n’y a aucune contestation sur ce point. Elle porte sur la représentation de cette consommation.
Contrairement à ce qu’affirme l’article, l’infrastructure qui sous-tend le réseau Bitcoin est extrêmement simple : un réseau de nœuds informatiques qui peuvent être votre ordinateur personnel, le server qui héberge un autre service ou un micro-ordinateur comme un raspberry pi + des ordinateurs dédiés au calcul, les «miners». Un nœud ou un mineur est plutôt simple d’utilisation et ne demande qu’un entretien raisonnable et une connexion internet limitée. Il peut facilement être hébergé à la maison ou dans des lieux très reculés, contrairement aux servers de la plupart des services d’internet qui nécessitent toute l’infrastructure de datacenters pour assurer un fonctionnement correct. En comparaison, les «fermes de minage» ne sont que de simples entrepôts ou même de vieux containers recyclés.
J’ajouterais que cette infrastructure est d’une très grande flexibilité : à tout moment, un nœud ou un calculateur peut se joindre, quitter, se déplacer et rejoindre le réseau, sans que cela pose le moindre problème de stabilité au réseau dans son ensemble.
Par design, Bitcoin ne nécessite aucun matériel délicat ou nécessitant un entretien pointu, car son but est avant tout d’être flexible, décentralisé et accessible. C’est pour cela que depuis sa création, les développeurs de Bitcoin prennent bien soin de conserver la simplicité nécessaire du logiciel pour rester le réseau acéphale qu’il doit être. En réalité, c’est cette simplicité qui fait tout le génie de l’invention de Satoshi Nakamoto et son caractère unique.
Au départ, Bitcoin fonctionnait juste entre quelques PC qui servaient de nœuds et de mineurs en même temps. Théoriquement, ce pourrait toujours être le cas aujourd’hui. La taille de l’infrastructure n’est pas une nécessité technique, mais uniquement la conséquence de l’adoption de Bitcoin. C’est bien parce que Bitcoin est utilisé que son infrastructure s’est mise à l’échelle de manière organique. Je développerai ce point essentiel dans un prochain article qui expliquera le lien mécanique qui existe entre l’adoption et l’augmentation de la puissance de calcul du réseau.
Le débat s’est largement enflammé ces derniers mois et la réponse dépend souvent de l’endroit où on se trouve sur l’échelle des fans et des critiques de la cryptomonnaie.
Mathilde Farine, https://www.letemps.ch/economie/miner-bitcoins-lenergie-utile-futile
En réalité, c’est amusant de vouloir mettre un débat sur ce point : Bitcoin est comme il est et il consomme de l’énergie pour être sécurisé tout en étant ouvert, public, sans frontières, neutre et résistant à la censure. On peut avoir tous les débats que l’on veut, on peut s’insurger, on peut vouloir l’interdire, cela ne change rien. Bitcoin continuera à exister malgré tout, il est indestructible, car il est construit pour résister à tous les vecteurs d’attaque.
Le débat que proposent généralement les journalistes ressemble à «Est-ce que Bitcoin a le droit de consommer ce qu’il consomme ?». Ce débat est vain, car quelle que soit la réponse, cela n’empêchera pas les Chinois/Émiratis/Américains/Russes/Salvadoriens/Iraniens/Islandais/Congolais/Canadiens et même votre voisin de palier de brancher un ou des miners à sa prise électrique pour gagner la récompense qui y est associée. Les chiens aboient, mais la caravane passe.
Pour véritablement agir pour le climat, le débat devrait plutôt être : «Comment peut-on réduire l’empreinte écologique de Bitcoin?». Mais pour avoir un débat public éclairé à ce sujet, il faudrait déjà que les médias comme Le Temps ne propagent pas des représentations fausses du fonctionnement de Bitcoin et du minage :
Au premier abord, les choses semblent limpides: pour exister, la monnaie doit être minée. Or plus le temps passe, plus cette opération – une résolution de calculs informatiques – se complexifie, nécessite un matériel plus sophistiqué et une consommation d’énergie qui explose.
Mathilde Farine, https://www.letemps.ch/economie/miner-bitcoins-lenergie-utile-futile
Tout est faux dans cet extrait de l’article !
- Le minage ne sert pas à faire exister «la monnaie». Le minage sert à sécuriser le réseau Bitcoin, il s’agit d’un calcul informatique qui empêche des agents malicieux de falsifier les transactions dans le passé. Il sert à cristalliser la blockchain d’une manière mathématique incontestable. Les bitcoins que les mineurs reçoivent comme récompense n’est pas une finalité mais une rémunération, une incitation.
- Non, la difficulté du calcul ne dépend pas «du temps qui passe», mais de la puissance de calcul constatée sur le réseau lors des derniers blocs. La difficulté est adaptée tous les 2016 blocs (environ toutes les deux semaines) vers le haut et le bas selon la situation. La difficulté est établie statistiquement de manière à avoir un bloc toutes les dix minutes en moyenne. Si la puissance de calcul augmente, cette moyenne diminue donc le système augmente la difficulté. Si la puissance diminue, l’espacement temporel entre les blocs augmente donc le système diminue la difficulté. Même si la tendance générale est à la hausse, on peut voir que la difficulté baisse à de nombreuses reprises, comme l’été dernier avec une baisse de près de 50% en 2 mois.
- La complexification du calcul ne signifie pas nécessairement que la consommation d’énergie explose. Les performances des machines augmentent avec le temps, sans être plus sophistiquées, d’ailleurs. L’augmentation de la difficulté rend avant tout compte d’une évolution technologique des calculateurs plutôt qu’à une augmentation de la consommation énergétique (Article sur l’évolution des mineurs par coindesk).
Ces erreurs proviennent essentiellement des sources de la journaliste, tout particulièrement Digiconomist qui n’est pas du tout un blog fiable sur le sujet. Son manque de sérieux a été pointé à de nombreuses reprises et les comparaisons insensées reprises par la journaliste en sont une nouvelle démonstration :
Les comparaisons sont sans fin. Digiconomist en propose d’autres, par exemple sur l’empreinte carbone d’une seule transaction en bitcoin, qui correspond à plus de 2 millions de transactions avec une carte Visa ou à 168 000 heures à visionner YouTube. On peut aussi évaluer les déchets informatiques liés à cette transaction (équivalents au poids de 1,85 iPhone).
Mathilde Farine, https://www.letemps.ch/economie/miner-bitcoins-lenergie-utile-futile
Non, personne n’est capable de mesurer l’empreinte carbone du réseau Bitcoin : ni un pro, ni un anti-Bitcoin. Ces comparaisons reposent donc sur rien. J’y reviendrai dans un prochain article.
D’ailleurs, la puissance de calcul nécessaire ne dépend pas du tout du nombre de transactions qui diffère beaucoup d’un bloc à l’autre (vérifiez vous-même dans un explorateur de blocs), alors qu’entre deux ajustements, la difficulté de calcul ne change pas.
Ainsi les calculs des mineurs ne servent pas «juste» à valider des transactions sur la blockchain contrairement à ce que sous-entend la journaliste, mais sécurisent tout l’état passé de la blockchain et servent à établir le consensus incontestable et décentralisé qui rend possible des échanges économiques ouverts, publics, sans frontières, neutres et résistants à la censure grâce à Bitcoin.
D’ailleurs, Bitcoin ne sert pas «juste» à faire des transactions sur sa blockchain. Bitcoin est un consensus sécurisé par une puissance de calcul unique dans l’Histoire : il est possible de construire et faire tourner des applications qui reposent sur ce socle indestructible. L’utilisation de ces applications n’induit pas un besoin plus important de puissance de calcul.
Le meilleur exemple aujourd’hui, c’est le réseau Lightning qui est aujourd’hui le protocole le plus utilisé pour dépenser/payer en Bitcoin : c’est instantané, quasiment gratuit et le volume de transactions à la seconde est potentiellement illimité. Pour ma part, je fais bien plus de transactions par Lightning que de transactions inscrites sur la blockchain de Bitcoin. Ces transactions ne sont pas du tout prises en compte par la journaliste et ses sources. Pour se faire une opinion, il est important d’être exhaustif.
La comparaison «en déchets informatiques» est tout aussi absurde pour deux raisons :
- De la même manière qu’il est impossible d’avoir une statistique fiable sur l’empreinte carbone de la consommation de Bitcoin, il est impossible de savoir le nombre de machines en activité et le nombre qui est mis au rebut.
- Un mineur est un calculateur assez simple et bien plus facile à recycler qu’un téléphone. Les poids et tailles ne sont pas non plus comparables. Les composants sont également différents, par exemple aucune terre rare dans les miners. On est vraiment dans une comparaison entre une pastèque et un litchi.
Vous l’aurez compris. Je ne conteste pas que Bitcoin consomme de l’énergie, ni que Bitcoin utilise des machines pour fonctionner. Ce que je conteste, c’est la manière de le présenter par des comparaisons fallacieuses basées sur une compréhension erronée du sujet.
Le débat manichéen «Bitcoin, bien ou mal» est inutile, car il ne permet pas d’améliorer la situation. Il est stérile, car «Bitcoin se fiche bien de l’avis des gens», qu’on l’aime ou non, qu’on l’interdise dans certains pays ou non, il continuera toujours à produire un bloc toutes les dix minutes. Il a été créé pour être indestructible et pour échapper à tout contrôle. On ne peut pas désinventer Bitcoin, il faudra donc apprendre à vivre avec qu’on l’aime ou non.
Je regrette réellement que des Kazakhs, Iraniens, Vénézuéliens ou autres utilisent de l’électricité produite avec de l’énergie fossile pour miner sur Bitcoin. Comme beaucoup de citoyens, je me préoccupe beaucoup du réchauffement climatique et de l’importance d’une transition énergétique rapide. Mais contrairement aux Calimeros de salon (ou d’hémicycle), je ne considère pas Bitcoin comme un «ennemi» (ni même comme un ami), mais comme une contrainte qu’il faut transformer en opportunité.
J’affirme pour ma part qu’il y a des mesures simples qui permettront de réduire considérablement l’impact écologique de Bitcoin. Ces mesures rapportent de l’argent, réduiront les émissions de gaz à effet de serre et auront même un effet extrêmement positif pour la transition énergétique.
Je développerai tout ça dans de prochains articles :
- La preuve de travail – une réalité concrète
- Le modèle économique simple aux impacts locaux et mondiaux
- Les mesures politiques pour réduire drastiquement l’impact écologique de Bitcoin
En attendant, vous pouvez retrouver les cahiers print@home. J’ai publié tous les cahiers du roman Le sanctuaire des Renégats de Pascal Lovis pour ces vacances. Dès la rentrée 2022, je commencerai à publier les cahiers des nouveautés de la collection Ludomire.
Ok pour tout, sauf :
– “personne n’est capable de mesurer l’empreinte carbone du réseau Bitcoin” : ça me semble plutôt simple en fait (on peut évaluer le nombre d’ASICs utilisés, en partant d’un modèle moyen et pour l’elec, on peut estimer quel type d’énergie selon le lieu où c’est miner). Le # de machines en activité et au rebus, on peut l’estimer (comme on le fait pour toutes les calculs d’empreinte carbone, qui ne peuvent que reposer sur des estimations). Pourquoi penses-tu ça ?
Et un peu là :
– “Un mineur est un calculateur assez simple et bien plus facile à recycler qu’un téléphone” Mouais… En fait on ne recycle vraiment ni l’un ni l’autre donc c’est un peu poussif mais effectivement, le démantèlement est bien plus simple et ça n’utilise bien moins de matériaux problématiques.
En tout cas, merci de prendre le temps de faire ce debunking qui est largement diffusé et réutilisé partout.
Bonjour, je n’ai pas dit qu’il n’était pas possible d’avoir des estimations à la grosse louche. L’utilisation de moyenne n’est pas pertinente dans le cas du mining, car l’industrie se fournit en grande partie en dehors du marché de l’électricité : soit en exploitant des excédents hydroélectriques ou de centrales hors-réseau. De plus il est parfaitement impossible de savoir où se trouvent les machines, les estimations du Cambridge Index est fantaisiste sur beaucoup de points : aucun minage en Chine alors qu’un reportage sur place démontre qu’il y en a toujours, près de 5% en Irlande alors qu’on n’a pas d’indice sur l’existence de fermes de minage là-bas, absence du Congo alors que j’y possède des machines dans une ferme aux Virunga.
Je ne vais pas m’étendre car j’expliquerai tout ça avec beaucoup de détails dans le prochain article.
Concernant le recyclage, nous sommes d’accord. Je n’ai pas dit que le recyclage n’était pas un problème. C’était le comparaison qui me semble surtout stupide.
En réalité, j’aurais pu parler aussi de la durée de vie et du recyclage en interne : les machines en panne servent souvent de pièces détachées pour réparer les autres machines d’une même ferme. La durée de vie d’un mineur est souvent assez long selon les informations que des mineurs me partagent. Mais je pense que c’est sans doute le point qu’il faudrait mieux documenter et sans doute améliorer.