Dernièrement, avec mon ami Alexis Roussel, nous échangions sur la politique, et après avoir abordé le Revenu de base et son financement grâce à Bitcoin (je vous en reparlerai bientôt). J’ai lancé la boutade suivante : «Et si Bitcoin, c’était la 1re Internationale où c’était les anarchistes qui s’étaient imposés.» Au-delà de la blague, je pense que le parallèle n’est pas inintéressant.
Avertissement : Oui, j’ai bien conscience qu’il y a beaucoup de différences entre l’émergence du Socialisme, tant dans le contexte socio-économique, que dans certains fondements idéologiques. Il y a aussi une gigantesque différence technologique dans les moyens d’organisation. Mais la comparaison reste amusante et riche de réflexion.
Petit rappel historique sur la 1re Internationale socialiste
Fondée en 1864, l’Association internationale des travailleurs (véritable nom de l’organisation) structure, cristallise pour la première fois un mouvement politique qui émergeait depuis le début de l’industrialisation : le Socialisme.
Précédemment, le mouvement était incarné par des personnalités et initiatives locales. Mais le projet politique nécessitait une mobilisation ouvrière internationale et c’était l’objectif recherché par cette association.
La fondation de l’association se fait dans une certaine indifférence, les médias n’en ont pas fait les gros titres. En 1866, le premier congrès à Genève ne rassemble 60 délégués qui représentent des sections et sociétés qui rassemblent 25173 adhérents en tout pour la France, Suisse, Allemagne et Angleterre. C’est certes un début encourageant mais on est encore très loin de ce qu’à représenté le mouvement ouvrier un siècle plus tard.
Mais cette association va être tiraillée sur deux courants : les «marxistes» et les «anarchistes». Les premiers défendent une vision plus organisée de la Révolution, les seconds, anti-autoritaires, considèrent qu’un Révolution saine doit éviter d’adopter les travers de la domination qu’ils combattent par une hiérarchie nouvelle. A la veille de la guerre franco-prussienne, les anarchistes représentent près de deux tiers des adhérents.
1870, suite à la débâcle française face aux Prussiens, une révolution ouvrière prend le pouvoir à Paris : La Commune. Malgré un soutien unanime à cette expérience révolutionnaire, les deux courants se divisent sur l’attitude à adopter envers les gouvernements et partis lors d’un congrès régional de la fédération romande. Les «anarchistes», renommés «Les Jurassiens» (en référence à la Fédération jurassienne qui rassemble des adhérents des régions horlogères de la chaîne de montagnes : Neuchâtel, Jura bernois), vont s’opposer au comité central contrôlé par les marxistes.
En 1872, après l’exclusion des principaux leaders anarchistes, ils fondent à St-Imier l’Internationale antiautoritaire. Et se rassembleront en congrès à Neuchâtel, l’année suivante.
Mais la scission essouffle autant l’Internationale «officielle» que les antiautoritaires. Videz de sa substance, la première sera dissoute en 1876 alors que l’Internationale antiautoritaire s’éteint en 1877.
L’Internationale renaîtra en 1889 sous l’impulsion du compère de Karl Marx, Friedrich Engels : L’Internationale ouvrière ou 2e Internationale. Celle-ci prit fin avec la 1re Guerre Mondiale. La 3e Internationale ou Internationale communiste (Komintern) est fondée en Russie par les Bolchéviks qui viennent de prendre le pouvoir.
Et le fork dans tout ça ?
Ceux qui connaissent l’histoire de Bitcoin ne pourront pas s’empêcher de faire le parallèle entre la scission de la 1re Internationale et la guerre des gros blocs qui a abouti au fork de 2017. Pour ma part, j’ai tendance à amalgamer les bigblockistes aux marxistes, une vision plus centralisée, basée sur une avant-garde qui fixe les priorités, et les Bitcoiners sont les antiautoritaires, les «Jurassiens» qui défendaient une vision plus horizontale du protocole et qui se sont surtout élevés contre une sorte de putsch dans la gouvernance.
Mais contrairement aux anarchistes historiques qui ne sont jamais parvenu à s’organiser de manière efficace après la 1re Internationale, qui se sont fait écraser en Ukraine et en Catalogne sans concrétiser leurs idées, les cryptoanarchistes continue à faire progresser leur projet de société libre et sans privilège.
Dans l’autre camps, les bigblockistes ne sont plus qu’une poignée sur un protocole qui ne vaut plus tripette. Le destin des Marxistes a été bien plus florissant et se sont même offert le luxe de liquider des anarchistes au détour d’une steppe ukrainienne.
Mais que retenir de tout ça
Je vois plusieurs choses intéressantes de tout ça. Déjà, Bitcoin a survécu plus longtemps que la première internationale, ce qui est bon signe. Ensuite, je pense que le protocole Bitcoin est l’outil indispensable pour réussir pacifiquement une révolution antiautoritaire. Dans les luttes politiques ou armées, la hiérarchie et la centralisation peuvent être un avantage. Elles offrent également une cohésion aux groupes. Les antiautoritaires ont besoin d’une référence commune, neutre et non manipulable, une autorité incontestable, mais non imposée : Bitcoin est la colonne vertébrale indestructible pour fédérer les bonnes volontés antiautoritaires et fédéralistes vers des lendemains qui chantent.
Mais ce qu’il faut également retenir, c’est que notre mouvement qui prend ses racines dans l’idéalisme originel d’Internet n’en est qu’à ses débuts. Changer l’ordre du monde, détruire le pouvoir oligarchique des banques et des États non-démocratiques, ça ne va pas plaire à tout le monde et on va connaître des revers. Souvent, lorsque l’on regarde l’histoire du Socialisme, on a l’impression qu’ils comptent leurs pires ennemis dans leurs propres rangs. Rien de plus faux, c’est faire abstraction aux lois d’interdiction et tous les militants emprisonnés, torturés et assassinés. Ca permet de relativiser certaines contrainte légales que l’on nous promet ces derniers jours, mais ça nous prépare également au pire.
Bitcoin est de gauche ?
Bitcoin est politique. Il a pour vocation de remplacer le système financier et devenir la référence absolue dans les échanges de l’humanité. Il va remplacer un système dépendant d’un contrôle capitaliste par un protocole basé sur les communs.
Bitcoin est un système librement consenti, non imposé. Bitcoin est ouvert à tous et son accès ne peut être restreint. Ses principes cardinaux sont la liberté et l’égalité.
Bitcoin va poursuivre la profonde transformation de la société initiée par Internet depuis les années 90. Ses fondements idéologiques sont l’économie du partage (Open Source), la méfiance envers toute autorité et la confiance dans les sciences (tout particulièrement les mathématiques).
Le protocole Bitcoin est international et se moque des frontières. Il est inclusif à l’extrême, son utilisation est ouverte sans restriction : humains, robots ou même animaux (et oui, si tu dresses ton chien à payer ses croquettes, il sera en mesure de signer une transaction).
Bitcoin permet de rêver à des sociétés nouvelles, utopiques. Bitcoin est le socle qui pourra être utilisé pour construire les sociétés de demain, relever les défis environnementaux, sociaux et économiques. Mais ce sera à l’appréciation de chaque personne, chaque communauté, chaque ville. Bitcoin peut accoucher d’une multitude de sociétés différentes. Bitcoin c’est la diversité.
Le consensus Nakamoto se base sur une singularité mathématique qui rend impossible une prise de pouvoir par la violence. Lorsque la question de l’autorité n’est plus sujette à une appropriation par la force, j’affirme que Bitcoin est pacifique.
Alors si on me demande si Bitcoin est de gauche ou de droite, je vous ai déjà donné les clés pour y répondre. Je vous laisse trancher.
Et pour terminer, si on vous demande qui sont les Sociaux-Démocrates dans mon parallèle avec l’Internationale, répondez-leur : les Etheristes. Ceux qui sachent comprendront.
Et pour le Grand Soir, je n’ai rien d’autre à vous proposer que le beer-to-beer du jeudi soir à Neuchâtel, mais c’est déjà pas mal. Il y aura à manger et à boire.