Les libristes les plus convaincus sont souvent des informaticiens. Les logiciels libres sont d’ailleurs les exemples les plus importants de cette culture. Je comprends bien entendu les fondements idéologiques et la radicalité d’un monde sans droits d’auteur et brevets. Je ne les remets pas en question ici, c’est juste que j’ai parfois entendu des critiques par des libristes sur le fait que certaines de mes publications sont sous copyright ou sous une licence CC avec l’interdiction d’une utilisation commerciale. Cela a été le cas sur le forum Linux lorsque nous avons présenté le choix de la licences CC BY-NC-SA pour le romand Printeurs et le format le print@home.
On m’a souvent opposé des arguments qui comparent abusivement l’informatique et mon activité, l’écriture et l’édition de livres. Je ne souhaite pas débattre sur la pertinence de licences libres pour la littérature, mais juste relever des différences fondamentales entre la création littéraire et le développement de code.
Les quatre libertés du logiciel libre et l’esprit des lois
Les quatre libertés définissant le logiciel libre sont réellement géniales dans leur conception, simples et complètes :
- la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages ;
- la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ;
- la liberté de redistribuer des copies du programme (ce qui implique la possibilité aussi bien de donner que de vendre des copies) ;
- la liberté d’améliorer le programme et de distribuer ces améliorations au public, pour en faire profiter toute la communauté.
Si on doit les transposer dans la littérature, je pense que cela donnerait quelque chose comme ça :
- la liberté de lire le livre de la manière que l’on souhaite, pour fonder une religion, pour s’endormir le soir ou comme source de divertissement dans les toilettes ;
- la liberté d’étudier le texte et sa structure et de l’adapter à ses goûts, ses envies ;
- la liberté d’imprimer, de lire publiquement ou copier le livre, et de pouvoir les vendre ou non ;
- la liberté de modifier le texte et de pouvoir les publier cette nouvelle version au public.
Ce que l’on constate, c’est que la liberté d’usage est garantie pour l’essentiel, quelle que soit la licence choisie. J’ai tout de même un doute concernant le droit moral de l’auteur, inaliénable, et dont on ne peut renoncer légalement dans de nombreux pays (dont la France et la Suisse).
La liberté d’étudier le texte et de l’adapter à ses goûts et envies est bien entendu garantie. Contrairement à un programme informatique dont on peut cacher ou protéger le code source, un texte littéraire se suffit à lui-même et ne cache pas d’autre code que celui de la langue dans laquelle il est rédigé. Je connais des gens qui lisent des chapitres dans l’ordre de leur choix, d’autres ne lisent pas tous les éventuels lexiques en fin d’ouvrage de fantasy. De plus, chaque lecteur a même l’obligation de remplir les blancs que la narration ne précise pas, c’est une appropriation inévitable, nécessaire à la lecture d’un texte.
C’est pour les libertés de distribution et de modification que cela coince le plus. Le copyright ou des versions restrictives d’une licence Creative Commons ne respectent pas ces libertés. Remarquez qu’ici encore, le droit moral inaliénable de l’auteur peut également restreindre la liberté de modification de l’œuvre. Mais si l’on met de côté l’aspect de la distribution et de la commercialisation de l’œuvre originale, est-ce que la liberté de modifier un texte est réellement pertinente dans le sens où l’on peut l’entendre pour du code ?
La modularité du code et la rigidité littéraire
Avez-vous beaucoup d’exemple de romans que d’autres ont modifié pour l’améliorer et commercialisé ? Une œuvre littéraire n’est pas quelque chose de modulaire comme un code informatique. Je dirais même qu’il est monolithique. Il est plus efficace de réécrire entièrement un roman que de chercher à le “moder”.
En réalité, ce que limitent des droits d’auteur, ce n’est pas vraiment la possibilité de se réapproprier le texte, mais surtout la possibilité de faire des suites, adaptation et spin off. Ce sont les droits secondaires. Ceux-ci sont plutôt convoités par des éditeurs concurrents ou par des fans qui veulent faire un hommage non commercial à une œuvre.
Les libertés du logiciel libre cherchent à supprimer les barrières d’un développeur/créateur à un autre. C’est pertinent, car c’est ainsi que fonctionne l’informatique : les morceaux peuvent s’échanger et s’adapter facilement. Mais soyons honnête, les échanges de textes d’un écrivain à un autre sont rares voir inexistants. Les échanges se font surtout au niveau des idées et de l’inspiration. Ce sont des échanges qu’aucune licence ne peut empêcher.
Les droits de citation et de parodie
On touche ici une différence fondamentale entre un texte littéraire et un code informatique. L’art et tout particulièrement la création littéraire utilisent fréquemment la citation, qui ne nécessite aucun autorisation si elle est faite correctement. La citation “de code” sous copyright est bien entendu impossible.
Il est également autorisé de parodier dans l’art et la littérature, ce qui est impossible dans un code informatique (sinon les lignes de code deviennent une forme d’expression littéraire. Je pense que la parodie et la citation sont des droits particulièrement importants et jqu’il est important de lutter pied à pied pour leurs défenses. Cet esprit défensif fait partie de la publication du livre Objective Thune.
Ces deux droits permettent largement d’exercer une très large liberté de modifier un texte littéraire, quelle que soit sa licence.
La défense de notre liberté
La défense des logiciels libres s’inscrit avant tout dans une défense de nos libertés individuelles. Pouvoir connaître un code source, avoir le droit de le modifier et de le partager sans restriction relève de la protection de la vie privée et de pouvoir choisir individuellement et souverainement le fonctionnement de nos machines. L’informatique est un champ de bataille central où les monopoles sont extrêmement forts. Un logiciel qui a du succès va faire partie du quotidien des gens, il fonctionnera tous les jours jusque dans leurs poches.
La littérature a bien entendu un rôle à jouer dans la défense de nos libertés, mais il est très différent. Tout d’abord, un livre est quasiment un consommable : à part quelques exceptions, on ne lit un texte qu’une seule fois, éventuellement on le consulte de temps en temps. De plus, il n’est pas destiné à des machines qui le lisent bêtement. Il est également inerte et ne vous espionnera pas, même s’il est sur notre table de chevet.
Une œuvre, aussi géniale soit-elle, n’établira jamais de monopole, il y aura toujours d’autres livres comme alternative car il n’y a pas d’éventuels de compatibilité. Les monopoles en littérature se cachent ailleurs que dans des licences fermées, mais dans les infrastructures et les réseaux de distribution. Ploum en parle très bien dans cet article. C’est aussi amusant que ces nouveaux monopoles dans la littérature sont souvent d’ordre informatiques.
L’enjeu pour un auteur dans “sa contribution” à la liberté, c’est avant tout d’être lu. Je pense que le choix d’une licence doit être choisi selon cet objectif et non pour des raisons strictement idéologiques. Et, pour cela, je vais aborder dans un prochain article les questions des incentives utiles à la réussite d’une œuvre.
Comme tous les mercredi après la publication de mon post, un nouveau cahier est disponible sur printathome.cc. Aujourd’hui, L’héritage des Sombres 2/19 de Pascal Lovis
Image d’illustration par NYC Wanderer, CC BY-SA
Ça commence ien :
> Les libristes les plus convaincus sont souvent des informaticiens. Les logiciels libres sont d’ailleurs les exemples les plus importants de cette culture. Je comprends bien entendu les fondements idéologiques et la radicalité d’un monde sans droits d’auteur et brevets.
Attention que le Logiciel Libre en sont justement pas contre le droit d’auteur (copyright), mais le redéfini de façon non aliénant et l’a rebaptisé gauche d’auteur (copyleft).
Les brevets c’est une autre plaie à l’heure actuelle car on met des brevets là où il n’en faut pas, tuant du coup toute innovation. D’ailleurs, les entreprises avec les plus de brevet ne sont justement pas celles qui innovent mais celles qui ont une machinerie juridique assez importante pour écraser ou phagocyter les structures innovantes.
Je poursuis ma lecture.
Merci pour cette précision, je ne suis pas un spécialiste du Logiciel Libre.
Effectivement les brevets abusifs sont problématiques.