Dans mon article précédent, j’évoquais mon intérêt pour la licence Creative Commons et d’autres licences libres. Très tôt dans ma vie littéraire, j’ai été confronté aux problèmes et aux blocages liés au droit d’auteur. J’ai fait mes premières armes dans le fanzine Souffre-Jour qui faisait survivre, à la limite de la légalité, un jeu de rôle torpillé par un problème lié aux droits d’auteur.
Sans être véritablement militant, je me sens profondément “citoyen du web” et la culture du libre s’est imposée assez naturellement à moi. Tout particulièrement au niveau de l’informatique, je choisis toujours les solutions non propriétaires lorsque j’en ai l’occasion. Je trouve très naturel le partage libre des créations sur internet.
La question du financement
Mais derrière ces questions de liberté, de gratuité et de partage, il reste le problème du “financement du libre”. Et à ce jour, si les licences fermées sont plus fréquentes que les licences libres, c’est parce que la question n’a pas encore été résolue.
Quantitativement, le libre se nourrit surtout de bénévolat : artistes/développeurs qui travaillent sur leur temps libre. La rédaction de Wikipedia en est le meilleur exemple.
Ensuite, il y a les placements de produits ou le sponsoring, c’est un modèle très fréquent sur des plateformes sur Youtube. Cela permet aujourd’hui à des créateurs d’en vivre et de proposer du contenu de meilleure qualité.
Il y a également les produits dérivés qui permettent de financer de la création gratuitement partagée sur internet, c’est un moyen de nouer un lien matériel entre le créateur et son publique. Cela peut signifier que la création “gratuite” est une sorte de produit d’appel pour des produits payants.
Parfois les soutiens publiques participent au financement de productions libres mais ce n’est généralement pas un critère de sélection. Ce qui est sans doute dommage, l’argent public devrait à mon sens financer que des projets libres ou des restrictions au partage de durée très limitée.
Et enfin, il y a tout ce qui procède du prix libre et du crowdfunding. C’est en plein développement et je trouve que c’est le meilleur moyen de soutenir la création libre aujourd’hui. Ca permet aux créateurs de se concentrer sur son projet artistique ou créatif tout en conservant une certaine liberté (que des aspects publicitaires ou la vente de goodies peuvent mettre à mal). C’est d’ailleurs le moyen de financement favorisé pour mon projet print@home avec une campagne Tipeee et un crowdfunding avec Bitcoin.
Modèles centrés sur le créateur
Vous ne l’avez peut-être pas remarqué mais nous avons parlé jusqu’à présent que de créateurs. Les producteurs et éditeurs sont souvent absents… ou plutôt les créateurs jouent eux-mêmes le rôle de producteur ou d’éditeur. Dans une licences CC-BY, la seule chose qui permet de faire mettre en place un modèle de financement, c’est le BY. C’est à dire la paternité de l’œuvre.
Un éditeur peut difficilement trouver une place dans un tel modèle. Il y a bien entendu des exceptions comme Wikipedia, la fondation faisant office d’éditeur, mais c’est un cas très spécial où la multiplicité des contributeurs les rend anonyme. Dans la tête des gens, la paternité des articles reposent sur “un projet”, “un mouvement” que représente l’éditeur Wikipedia.
Mais en littérature ou en musique, les auteurs sont généralement uniques ou en petite quantité. La paternité est centrale. Elle est au cœur de la motivation ou des modèles économiques : le plaisir d’être lu et reconnu comme auteur d’un chef-d’œuvre ou la possibilité de toucher des cachets de concerts.
Et l’éditeur dans tout ça ?
Et bien, il est un peu l’oublié des modèles. Il est souvent considéré comme un intermédiaire inutile, un parasite dans la chaîne entre le créateur et son public. J’en ai avalé des couleuvre à ce propos lors de salons… Même Ploum, un des auteurs que j’édite, a annoncé “détester les industriels du divertissement” (je sais bien que ça ne m’est pas adressé, mais ça me fait sourire malgré tout) et la libération des artistes grâce aux outils extraordinaires qu’offre internet en terme de distribution et de financement. Moi-même, j’ai exploré cette voie, qui se passe d’éditeur, comme auteur de jeu de rôle sur le forum des jeux de rôle indépendants Silentdrift, ça a été très formateur.
Il est vrai que certaines pratiques éditoriales me débectent aussi. Dans ce petit monde, il y a vraiment des fumiers, autant chez les grands que chez les petits. Mais j’ai aussi collaboré avec des éditeurs formidables. Ainsi, mon expérience comme auteur et éditeur m’a convaincu que le travail éditorial était très utile, voir même nécessaire la réussite de certains projets. Et malheureusement, il est difficile d’endosser les deux casquettes d’éditeur et d’auteur en même temps. Je développerai dans un prochain article les tâches et le rôle d’éditeur, car très peu de personnes savent en quoi ils consistent.
Mais dans un modèle de production culturel strictement libre où seul la paternité est protégée quelle place peut trouver l’édition ?
Éventuellement, on pourrait imaginer que l’éditeur s’approprie aussi une partie de la paternité de l’œuvre, mais personne ne serait dupe et ce serait clairement abusif.
Beaucoup connaissent l’autrice d’Harry Potter mais très peu connaissent son éditeur. Et pourtant, il a largement participé au succès et à la reconnaissance de son œuvre. Tout le monde s’arrache les romans J. K. Rowling mais je doute que la marque Bloomsbury Publishing fasse vendre aussi systématiquement dans de même proportions. D’ailleurs, je vous invite à découvrir les ventes du roman sorti par J.K. Rowling sous un pseudonyme inconnu du public : The Cuckoo’s Calling, de Robert Galbraith. La popularité n’a pas qu’un effet bénéfique sur l’ego mais aussi un effet bénéfique sur la visibilité (et la vente) de son travail.
L’auteur et l’éditeur ne reçoivent pas la même reconnaissance et ne “capitalisent” pas la même manière lors d’un succès d’une œuvre. L’argument “si l’oeuvre est partagée librement et gratuitement, c’est bénéfique pour tout le monde” ne vaut pas pour l’éditeur.
C’est ce défi que je souhaite relever comme éditeur : trouver une manière de concilier une licence ouvert avec mes intérêts. Je continuerai à développer ma pensée dans les prochains articles qui aborderont :
- La littérature est différente du code informatique
- Ça sert à quoi un éditeur et peut-on s’en passer
- L’autoédition vs l’édition à compte d’auteur
- Pourquoi la licence CC BY-NC-SA pour le print@home
Comme tous les mercredi, un nouveau cahier est disponible sur printathome.cc. Cette semaine, Ceux qui changent 1/7 d’Aquiliegia Nox
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