Suite à l’événement Surfin’Bitcoin, le journal La Tribune a sorti un article qui dès le chapeau annonce la couleur :
Convaincus qu’il résistera à toutes les interdictions et qu’il est à l’avant-garde d’un nouvel ordre monétaire mondial, ces “bitcoiners” ont débattu sans contradicteurs ou points de vue divergents sur leur vision du monde décentralisé.
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/quand-les-aficionados-du-bitcoin-revent-d-un-candidat-pro-bitcoin-a-la-presidentielle-891268.html
Vraiment ? Sans contradicteurs ? Je pense surtout que la journaliste n’était pas au même événement que moi ou alors elle n’a rien compris à ce qui se déroulait sous ses yeux. Derrière une unité de façade, des débats profonds et des oppositions irréconciliables agitent les rangs de la Révolution Bitcoin. D’ailleurs, son confrère de Investir de Les Echos a bien su capter ces divisions malgré le verni d’une conférence qui se voulait consensuelle. Je vais donc vous donner ma vision de ces tendances profondes qui façonnent la Révolution en cours.
Ce qui les unit
Bien entendu, je ne suis pas en train de dire qu’il y a une vraie guerre civile entre les Bitcoineurs. En réalité, ils ne sont pas assez nombreux aujourd’hui pour ce genre de luxe. De plus, ils partagent une conviction profonde que le livre blanc de Satoshi Nakamoto est à l’origine d’une Révolution économique et financière profonde, ce qui n’est pas rien.
J’ajoute également que les trois grands courants que je vais décrire à grands traits ne sont pas représentatifs de personnes réelles. Les Bitcoineurs ne sont pas monolithiques et évoluent dans leurs opinions ou objectifs. Un peu comme les Conventionnels de la Révolution française, les lignes de front et les individus évoluent face aux événements intenses provoqués par une Révolution sans concession. Il serait vain de mettre les individus dans des cases.
Les cypherpunks
Ils représentent les Bitcoineurs de la première heure. Leur motivation est fondamentalement idéologique et technique. Ils s’intéressent beaucoup aux détails du code et de l’infrastructure des protocoles, ils voient dans cette révolution une occasion d’outiller la population pour lutter pour leur liberté et leur vie privée. Par leurs opinions et leur prisme technique, ils sont les moins ouverts aux compromis de tous ce qui agace les autres. Ils n’en restent pas moins, à mon humble avis, les gardiens d’une Révolution (sic) dont les origines sont profondément altruistes. Leur principal défaut, c’est paradoxalement leur conservatisme qui ne les rend pas très fun pour des gens qui ne défendent pas une idéologie aussi marquée et qui privilégient l’expérimentation à la technique.
Il y a beaucoup de Bitcoin maximalistes dans leurs rangs, mais j’en ai rencontré dans des projets alternatifs. Mais j’ai l’impression qu’avec le temps, ceux qui ont l’âme cypherpunk retournent souvent à Bitcoin. Ils s’amusent des efforts des conciliateurs qu’ils considèrent comme vains et s’excitent contre les spéculateurs qui font vivre des expériences alternatives plus ou moins absurdes de leur point de vue. Ils ont surtout une impression de gâchis d’énergie et d’argent dans des projets qu’ils jugent comme stupides ou comme des escroqueries.
Les spéculateurs
Ils sont sans doute les plus nombreux. Même s’ils n’ont pas d’idéologie claire, ils ont un but clair : sauter sur toutes les opportunités pour s’enrichir. Ils sont les plus aventuriers et ils défrichent, testent et contrôlent toutes les nouvelles possibilités que la Révolution Bitcoin leur offre : ICO, finance décentralisée, NFT, etc. Ils récoltent la plupart des bénéfices, mais essuient également les plâtres. Ils participent grandement à une forme d’adoption avec les possibilités spéculatives offertes par les protocoles décentralisés, mais ils se désintéressent parfois de la réalité technique et d’usages non spéculatifs comme le payement.
Les spéculateurs sont partout où il y a quelque chose de nouveau ou à la mode. Donc rarement sur Bitcoin… bien qu’il y en ait qui cherchent à accumuler des satoshis. Ils s’amusent de voir les cypherpunks louper des opportunités financières et perçoivent l’action des conciliateurs comme une opportunité comme les autres. Ils représentent sans doute l’image d’Épinal du Bitcoineur et dans les faits, ils possèdent une ouverture d’esprit qui leur permet d’explorer tous les recoins du “terrier de lapin”.
Les conciliateurs
Ils ne sont pas très nombreux mais ils pèsent plus que les autres Bitcoineurs ne croient. Il s’agit de ceux qui pensent qu’il est possible d’intégrer Bitcoin aux institutions, économiques, financières et politques, actuelles. Ils sont en contact étroit avec les législateurs, les banques centrales et les grandes entreprises. Certains sont des vendeurs de blockchains, d’autres sont plus honnêtes et cherchent à éduquer les institutions à la Révolution qui risquent de les balayer. Ils présentent bien et sont bien intégrés dans les institutions. Pour les nocoiners, ils parlent leur langage et ne ressemblent pas aux anarchistes cypherpunks, ni aux spéculateurs fous.
Les conciliateurs sont une minorité agissante. Ils s’intéressent ou s’impliquent dans les blockchains de banques centrales (CBDC) ou alors ils s’essayent à la quadrature du cercle auprès des sociétés qui nient la Révolution Bitcoin. Mais je ne doute pas de leur sincérité, dans leurs esprits, ils souhaitent faire pénétrer la Révolution par la fenêtre ou par la porte de derrière auprès des grandes institutions. Ils souhaitent cacher les cypherpunks dont l’idéologie effraie leurs interlocuteurs, et ils utilisent les spéculateurs comme arguments dans leurs projets.
Ma vision de tout ça
Si je devais me positionner dans cet panorama, je dirais que je suis arrivé en 2013 comme cypherpunk et que j’ai participé au mouvement de spéculateurs de 2014-2017. J’ai expérimenté sur Nxt et défriché avec plaisir des outils qui se sont démocratisés sur Ethereum. En 2017, mon profil très consensuel et mes activités proches des institutions m’ont fait croire qu’il était possible de “convertir” les institutions. J’ai moi-même fait preuve d’une transparence avec les autorités que peu de Bitcoineurs ne souhaitaient accorder.
Aujourd’hui, déçu par la voie des conciliateurs par des institutions qui m’ont fait la guerre aveuglément, je pense être redevenu proche de la mouvance cypherpunk. Un retour aux origines selon moi. Mais, j’ai compris que les tunnels du terrier du lapin peuvent nous emporter sur toutes sortes de chemin. Les débats entre les trois tendances seront toujours fructueux et passionnés (même si les nocoineurs n’y comprennent encore rien). Je pense que le rôle de chaque groupe participera au succès de la Révolution Bitcoin :
- Les cypherpunks forgent l’idéologie qui sous-tendra la technologie de demain.
- Les spéculateurs défrichent et essuient les plâtres des cas d’usage de demain.
- Les conciliateurs seront les personnes les mieux placées pour préparer la transition entre l’ancien monde et le nouveau.
J’espère que cette petite divagation pseudo sociologique vous a plu. Même si ça n’a pas grand rapport, je vous invite à découvrir ma nouvelle campagne Ulule.
Et comme chaque mercredi, un nouveau cahier est disponible sur printathome.cc. Cette semaine, L’héritage des Sombres 11/19 de Pascal Lovis
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